L’exposition Beate et Serge Klarsfeld, les combats de la mémoire (1968-1978) au Mémorial de la Shoah, retrace le combat contre l’impunité des responsables de la Shoah et contre l’antisémitisme. C’est aussi, après la publication de leurs mémoires en 2015, un retour sur plus de 50 ans de lutte. Soit de la gifle par Beate Klarsfeld contre le chancelier ouest-allemand Kurt Kiesinger en 1968 à la publication par Serge du Mémorial de la déportation des juifs de France en 1978, ouvrant la voie au procès de Cologne de février 1980, condamnant des responsables nazis de la Solution finale en France.
L’exposition est construite en plusieurs parties. Nous pouvons voir pour commencer les nombreuses photos de famille et des objets personnels, souvenirs de luttes.
Serge Klarsfeld est né le 17 septembre 1935 à Bucarest (Roumanie). Ses parents, Arno et Raïssa, se sont rencontrés et mariés à Paris, où leur premier enfant, Georgette (Nommée ainsi en hommage à Georges Clémenceau) naît en 1931. C’est pour avoir une meilleure vie avant la naissance de Serge que sa mère retourne chez ses parents en Roumanie. A l’age d’un an, Serge arrive à Paris.
En septembre 1939, la Seconde guerre mondiale éclate. Arno s’engage dans l’armée française, puis est fait prisonnier en juin 1940. Sa femme et ses enfants suivent l’exode jusqu’en Creuse. Après son évasion en 1941, Arno rejoint sa famille qui s’installe ensuite à Nice. Les SS viendront les y arrêter dans la nuit du 30 septembre 1943. Raïssa et les enfants sont cachés dans une armoire à double fond, et Arno se livre seul, se sacrifiant pour sauver sa famille. Il ne reviendra jamais. Transféré à Drancy, il est déporté à Auschwitz-Birkenau et meurt au cours de l’été 1944.
De retour à Paris après la Libération, Raïssa et ses enfants découvrent leur appartement pillé et occupé. En 1946, ils retournent en Roumanie dans la famille maternelle mais doivent revenir à Paris l’année suivante, suite à l’instauration du régime communiste. Les années passent, Serge grandit, fait des études. Passionné d’histoire, il obtient son diplôme à la Sorbonne en 1958.
Beate Klarsfeld, née Künzel, naît le 13 février 1939 à Berlin. Elle est fille unique. Son père, Kurt, est mobilisé dans l’armée de terre, avant d’être transféré sur le front de l’est, et enfin rapatrié pour s’occuper de comptabilité dans la Wehrmacht. Sa mère, Helene, est mère au foyer.
A la fin de la guerre, Kurt, après avoir été fait prisonnier par les britanniques, est libéré et retrouve sa famille qui s’était réfugiée à l’ouest de Berlin pour fuir les bombardements. Ils vivent dans la zone britannique d’une ville en ruines.
Après la guerre Kurt vit de différents emplois, pendant que Helene fait des ménages. En 1955, à 16 ans, Beate, qui souhaite fuir le quotidien pesant de sa famille, s’inscrit dans une école commerciale. Elle refuse la pesanteur de la tradition conservatrice allemande consistant à cantonner la femme dans les « trois K » : Kinder, Küche, Kirche, pour Enfants, Cuisine, Église. A sa majorité, à l’époque 21 ans, elle quitte son foyer et s’installe à Paris comme jeune fille au pair.
C’est à Paris en 1960 que Beate et Serge se rencontrent. Dans ses mémoires, Serge écrit : « nous nous sommes rencontrés le 11 mai 1960 ; le jour même de l’enlèvement d’Adolf Eichmann à Buenos Aires par les Israéliens. Est-ce un signe de notre destin ? » De milieux très différents, ils apprennent à se connaître. Ils se marient le 7 novembre 1963.
C’est la décennie des premiers combats. Beate Klarsfeld est embauchée en 1964 comme secrétaire bilingue à l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) créé l’année précédente. Elle publie un ouvrage inspiré de son expérience de jeune fille au pair, qui devient un manifeste pour une meilleure reconnaissance envers ses compatriotes. Ce que l’OFAJ n’apprécie pas. Employé à l’ORTF, Serge participe à des émissions historiques. Mais l’office de l’audiovisuel français est sous les ordres du pouvoir politique. Il démissionne en 1966.
Leur premier enfant naît en 1965 et, selon la tradition juive, porte le nom d’un de ses grands-parents. Arno Klarsfeld deviendra un avocat reconnu, et représentera l’association des Fils et filles de déportés juifs de France lors du procès de Maurice Papon une trentaine d’années plus tard. Au moment où il devient père, Serge revient sur son passé. Il part en Pologne, à Auschwitz, sur les traces de son père.
Ce qui est considéré comme l’acte fondateur de leur combat et qui sert de point de départ à l’exposition, c’est l’élection en 1966 de Kurt Georg Kiesinger à la chancellerie ouest-allemande, dans le cadre d’une grande coalition CDU-SPD. Or il s’avère que Kiesinger, député depuis 1949, a été membre du parti nazi et directeur-adjoint de la propagande radiophonique vers l’étranger.
Beate et Serge Klarsfeld coécrivent de nombreuses tribunes pour dénoncer cette situation. La réaction de l’OFAJ est brutale : Beate est licenciée pour faute grave. Le seul moyen de mobiliser l’opinion publique allemande est de provoquer le scandale : le 2 avril 1968, Beate interrompt le chancelier en plein discours au Parlement de Bonn au cri de « Kiesinger nazi, démissionne ». Cela ne suffit pas. C’est un véritable combat politique qui s’engage. Après plusieurs tentatives, c’est le 7 novembre 1968, lors d’un congrès de la CDU (le parti conservateur) à Berlin-ouest, que Beate parvient à la stupeur générale, à gifler le chancelier, dans un geste au retentissement mondial. Plus que Kiesinger, cette gifle est peut-être adressée également au peuple allemand, apathique voire indifférent au fait que les criminels nazis soient libres. C’est « la gifle dont l’Allemagne avait besoin ».
Lors des élections de 1969, le SPD (Socialiste) est soutenu par les libéraux, ce qui permet à Willy Brandt d’accéder à la chancellerie. Kiesinger quitte le pouvoir.
L’exposition nous montre ensuite les combats menés durant la décennie suivante.
En 1970, Beate Klarsfeld se rend en Allemagne de l’Est assister à la rencontre des deux chefs de gouvernements des RFA et RDA (respectivement Willy Brandt et Willi Stoph), en vue d’une normalisation de leur relation. La même année, elle proteste contre les campagnes antisémites du pouvoir polonais, et milite aux Nations-Unies pour l’entrée des deux États allemands dans l’Organisation.
Il est impossible d’énumérer ici l’ensemble des luttes menées durant la décennie, citons par exemple celle contre la lenteur des procédures contre Kurt Lischka, ancien de la Gestapo. L’aboutissement, c’est le « procès de Cologne » en 1979, contre Lischka, Herbert Hagen (ancien des Sicherheitsdienst – Services de sécurité du Reich – en France) et Ernst Heinrichsohn (Il participe à la rafle du Vel d‘hiv en juillet 1942). Ils sont condamnés respecrtivement à 10, 12 et 6 ans. C‘est la fin d‘un long contentieux entre la France et l‘Allemagne, désormais cette dernière regarde son passé et y poursuit les anciens criminels nazis.
L‘ exposition est donc un restitution de leurs actions : pour Olivier Lalieu, commissaire, « leur démarche est globale […]. L’écriture, la recherche d’archives, la traque des anciens bourreaux, l’action judiciaire, le combat pour Israël et contre l’antisémitisme forment un tout. ». A noter qu‘initialement prévue jusqu’au 29 avril 2018, l’exposition est prolongée jusqu’au 9 septembre.
Beate et Serge Klarsfeld sont toujours engagés, par exemple contre le risque d’une victoire du Front National aux présidentielles de 2017, par des conférences, par la participation de Serge aux instances dirigeantes de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah…
La lutte contre l’antisémitisme est un combat toujours d’actualité. Nous tous, vivrons-nous assez vieux pour en voir la fin ?