C’est une excellente initiative prise par deux musées parisiens. À l’occasion des quarante ans de la disparition de René Goscinny, le 5 novembre 1977, le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) et la Cinémathèque Française proposent deux expositions complémentaires.
Celle du MAHJ, intitulée « Au-delà du rire », (avec la collaboration de l’institut René Goscinny) met en avant l’origine de son œuvre. Pour Anne Goscinny, sa fille, dans une interview à Charlie Hebdo (n°1317, 18/10/2017), il y a un fait fondamental à rappeler au public dans le contexte actuel de tensions dans notre société, un authentique exemple d‘ouverture et d’œuvre universelle : « Un des mythes français les plus importants du XXe siècle (Astérix – note de l’auteur) a été co-créé par un juif polonais et un Italien (Albert Uderzo – idem) ».
L’exposition commence par une galerie de photos familiales, puis suit son parcours personnel et professionnel (Ses débuts dans le dessin, puis sa carrière de scénariste, et enfin Pilote et le cinéma). Mais plongeons d’abord dans son histoire.
La mère de René Goscinny, Anna Beresniak, naît à Khodorkov, près de Kiev (Ukraine) en 1889. Elle est la fille de Abraham Lazare Beresniak, maître d’école. La famille s’installe à Paris en 1905. Abraham y fonde l’imprimerie Beresniak et Fils en 1912, spécialisée dans les essais, philosophiques ou politiques, dans plusieurs langues, français, russe, polonais, ou encore yiddish.
Son père, Stanislas Goscinny, naît à Varsovie en 1887. Il arrive à Paris en 1906 pour poursuivre ses études de chimie. Il aime voyager, vivant au Mexique pendant la révolution, en Tunisie ensuite, avant de revenir à Paris en 1919.
Anna et Stanislas auront deux enfants : Claude, né en 1920, et René, en 1926. Cette même année, ils sont naturalisés français.
L’année suivante, Stanislas Goscinny part à Buenos Aires (Argentine), pour une institution philanthropique, la Jewish Colonization Association, chargée d’aider à l’émancipation des juifs d’Europe orientale en les aidant à s’établir en Amérique Latine, au Canada ou au Moyen-Orient. La famille suivra en 1928.
C’est donc en Argentine que René Goscinny passera les premières années de sa vie. Il y fait sa scolarité (Sont visibles à l’exposition du MAHJ ses photos de classe du collège français, ainsi que celle des bacheliers), découvre le cinéma, la littérature, le dessin. Un personnage de bande dessinée aura une grande influence sur lui : l’indien patagon Patoruzù, personnage le plus populaire d’Argentine, créé en 1928 (La même année que Mickey Mouse) par Dante Quinterno.
Durant la guerre, René caricature les politiques de l’époque. Son père meurt en 1943, ce qui plonge la famille dans la précarité.
Après quelques emplois, comme par exemple dans une agence de publicité, René émigre avec sa mère à New York. Son service militaire effectué en France, il retourne aux États-Unis pour y travailler comme illustrateur. C’est une période de vaches maigres, ce qui ne l’empêche pas de rencontrer des personnes qui compteront beaucoup dans sa vie : Harvey Kurtzman (créateur du magazine Mad, René y pensera sans doute pour lancer Pilote), Jijé, de l’hebdomadaire Spirou, Morris, avec lequel il travaillera plus tard sur Lucky Luke.
René Goscinny vient en Europe en 1951, à Paris, pour un éditeur belge, Georges Troisfontaines (Les Editions Dupuis). C’est à ce moment-là qu’il rencontre Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo.
Bien qu’excellent dessinateur, Goscinny est conscient que face au talent de ceux cités plus haut, il vaut mieux pour lui se spécialiser dans l’écriture. Aussi il sera scénariste. Il fera de nombreux duos, lui à l’écriture, l’autre au dessin. Le plus connu, formé avec Albert Uderzo, commence dès 1951. Ils créent Jehan Pistolet (1952), Luc Junior (1954), Oumpah-Pah (1958), et enfin le personnage qui leur vaudra le plus grand succès, Astérix (1959). Parallèlement, il collabore avec Jean-Jacques Sempé sur une bande dessinée du Petit Nicolas en 1954, avec Morris (Maurice de Bevere) sur Lucky Luke dès 1955, puis Jean Tabary (Valentin le Vagabond – 1960 ; Iznogoud – 1962).
Avec plusieurs dessinateurs, il crée en 1959 Pilote, journal qui lancera les carrières de Jean Giraud (alias Moëbius), Cabu, Gotlib, Claire Brétecher, Reiser… Pilote, premier journal de bande-dessinée pour adultes, ouvre la voie à d’autres titres qui apparaissent dans les années 70, comme l’Echo des Savanes et Fluide Glacial.
La décennie 1970 marque une certaine diversification de René Goscinny. Il tente l’aventure de la télévision avec les Mini-Chroniques en 1976 (il a quitté Pilote deux ans plus tôt), et surtout, avec les studios Idéfix, c’est la grande aventure du cinéma. Seuls deux longs-métrages sortiront, les délirants Douze travaux d’Astérix, et la Ballade des Dalton. Ce dernier film, Goscinny ne le verra pas, car il décède un ans avant la sortie, d’une façon tellement absurde qu’elle mériterai de figurer dans les « Darwin Awards » (Palmarès des morts stupides) : crise cardiaque, suite à un… test d’effort avec son cardiologue. Il avait 51 ans.
Les derniers albums auquel il a collaboré sont Le Fil qui chante et Astérix chez les Belges.
En parallèle, la Cinémathèque propose « Goscinny et le cinéma », axée sur l’influence de ce dernier sur Goscinny, et inversement sa contribution au septième art. Goscinny était un passionné de cinéma, surtout des personnages de son enfance : le monde de Disney (Il rêvait jeune de travailler pour lui), Buster Keaton, Laurel et Hardy… Nous pouvons ainsi admirer des raretés : ses dessins inspirés de Disney (Mickey, Blanche-Neige, Pinocchio…), datés de 1941 à 1943 et plutôt réussis, ainsi que des caricatures des stars hollywoodiennes des années 1950 : James Cagney, Peter Lorre, Boris Karloff, Clark Gable… et aussi Fernandel.
On l’oublie aujourd’hui, mais la première adaptation avec des acteurs réels du Petit Nicolas ne date pas de 2009 avec le film de Laurent Tirard, mais de 1964. Intitulé Tous les enfants du monde, ce téléfilm d’ André Michel dont nous pouvons voir des extraits réunit Michael Lonsdale, Bernadette Lafont (les parents de Nicolas), Pierre Tornade… Plus tard, René Goscinny sera scénariste pour les films de ses amis, comme Le Viager (1972) et Les Gaspards (1974), tous deux de Pierre Tchernia.
Une large place est accordée à Astérix, fort de ses quatre films (de nombreux accessoires sont exposés, des costumes – Obélix, Cléopâtre…) et de ses neuf films d’animation. La première adaptation avec des acteurs date de 1967, « Nos ancêtres les Gaulois », avec Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, pour la télévision. Le premier dessin animé, Astérix le Gaulois, sorti en 1967, a été conçu sans l’accord de Goscinny et Uderzo. Par la suite, aucun film ne se fera sans eux, d’où plus tard la création des studios Idéfix. En attendant, Ils se sont visiblement bien amusés avec Astérix et Cléopâtre, inspiré des péplums alors à la mode, surtout du Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz.
Autre rareté, dans l’espace dédié au studio Idéfix : le court-métrage Les Aventures d’Idéfix (1976), moins connu que les deux films cités plus haut. Ces derniers font l’objet d’une véritable expo dans l’expo, avec toutes les étapes de leur fabrication : story-boards, création des personnages, layouts, décors….
Une occasion unique de (presque !) tout connaître sur l’un des auteurs les plus populaires, à voir d’urgence, d’octobre 2017 à avril 2018.