« La paix, vraiment ? »
C’est le titre du dernier hors-série de la revue Guerres & Histoire sur l’après 1918 et qui résume très bien la situation dans le monde après le premier conflit mondial. C’est aussi une excellente entrée en matière pour aborder l’exposition du Musée de l’Armée à Paris, À l’Est, la guerre sans fin, 1918-1923.
Le parcours est en cinq parties. Tout d’abord, La dissolution des Empires, soit l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Russie et l’Empire Ottoman ; La fabrique des traités, ou comment ont été conçus les différents traités devant mettre fin à toute cause de conflit, et leur mise en perspective avec la réalité du terrain, bien différente de celle des salons ; Les Marches de l’Est avec l’apparition de nouveaux États-nations en Europe orientale et les conflits frontaliers qui éclatent immédiatement ; L’Europe médiane, soit l’Europe centrale et les Balkans ; enfin Le Levant, ou l’après Empire Ottoman, la naissance de la Turquie moderne, d’ailleurs contre le traité signé (Sèvres, 1920), et la fabrication des frontières artificielles des nouveaux pays moyen-orientaux, cuisant échec et facteur de conflits dont on mesure encore aujourd’hui la portée tous les jours aux informations.
Outre de nombreuses photographies d’époque, des objets historiques et/ou à forte valeur symbolique s’offrent à nos yeux, tel le clairon de l’armistice, des exemplaires des différents traités (Versailles, Sèvres, Trianon…), des accords Sykes-Picot, les cartes d’époque avec les nouvelles frontières, ou encore des uniformes (À voir, la tenue arabe du colonel Thomas Edward Lawrence, que nous connaissons sous le nom de… Lawrence d’Arabie !).
En regardant cette exposition, une réflexion vient à l’esprit, que nous autres occidentaux ne percevions pas jusqu’à récemment, et encore grâce aux commémorations du centenaire. D’ailleurs à première vue, nous pouvions penser qu’il n’y avait pas de lien avec la Première Guerre, si lointaine dans nos vies contemporaines. Et pourtant…
En premier lieu, nous voyons l’après Première Guerre par le prisme de notre vision franco-française à travers le Traité de Versailles, considéré à tort ou à raison comme facteur d’humiliations sans fin pour l’Allemagne, et qui porte les germes d’une volonté de revanche. Nous avons gagné la guerre, mais perdu la paix. Fin de l’histoire.
Mais surtout, nous avions l’illusion à l’Ouest, lors de la chute du mur de Berlin en 1989, que l’Europe allait entrer dans une nouvelle ère de paix et de prospérité. Erreur : c’était ignorer que la Guerre Froide maintenait sous une chape de plomb les différents territoriaux et/ou ethniques des États satellites de l’URSS, tous ces derniers nés après 1918, différents non réglés avant la Seconde Guerre mondiale, et qui ont bien évidemment refait surface à partir des années 1990, avec plus ou moins de violence.
Aujourd’hui, par exemple, nous ne pouvons pas comprendre la Hongrie et la Pologne actuelles, si nous faisons abstraction des sentiments de traumatisme et d’humiliation collective qui demeure dans ces deux pays depuis les conflits mondiaux, le premier n’ayant jamais fait le deuil de son Empire disparu, le deuxième, redevenu indépendant après une longue disparition depuis la fin du XVIIIe siècle et toujours méfiant envers son voisin russe. Ce que leurs chefs d’État et de gouvernement actuels ont bien comprit et utilisent à chaque élection, avec succès. Quand à la Roumanie, la communauté Sicule, de langue magyare, revendique aujourd’hui encore une plus grande autonomie ; leur région, située en Transylvanie, faisait partie intégrante de l’empire Austro-hongrois.
Nous devons l’admettre, que nous le voulions ou non : un siècle après, la Première Guerre mondiale n’est pas terminée dans les esprits.
Cette exposition, dont les partenaires sont la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, les Archives diplomatiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Gaumont Pathé Archives, l’ECPAD, le Service historique de la Défense et le musée départemental Albert-Kahn/ Département des Hauts-de-Seine, est visible du 5 octobre 2018 au 20 janvier 2019.
Musée de l’Armée : Hôtel national des Invalides,129, rue de Grenelle – 75007 Paris
Walter Saraiva