Considéré comme le comique le plus populaire du cinéma français, même si le terme est réducteur, Louis de Funès fait partie de l’imaginaire de chacun de nous : il est selon un symbole de la France des trente glorieuses, de l’enfance, un souvenir de télévision… A ce propos, il est révélateur de constater que c’est Louis de Funès qui nous a accompagné durant le confinement, ses films les plus connus nous ayant réconfortés lors de leurs rediffusions durant ces moments difficiles (Et aussi parce qu’ils coûtent moins cher aux chaînes en raison de leur ancienneté, mais c’est un détail).
Belle revanche pour ce fils d’immigrés espagnols, né Louis, Germain, David de Funès de Galarza le 31 juillet 1914 à Courbevoie, le jour de la mort de Jean Jaurès. Son père peu présent, c’est sa mère qui marquera sa vie. D’ailleurs, au détour d’interviews, Louis confesse s’en servir comme modèle pour jouer ses légendaires colères.
De ses goûts et influences, il témoigne d’une profonde admiration pour les grands du muet, Buster Keaton, Chaplin, W.C. Fields, Laurel & Hardy… Ils lui apprendront le rythme de jeu, le mime, le sens du tempo. Des films aussi l’ont marqué, comme Hellzapoppin (H. C. Potter, 1941).
Moins connue est sa passion pour la musique. Excellent pianiste, Louis de Funès a pu pendant l’Occupation traverser cette période difficile grâce à ses talents de musicien. Il a souvent raconté comment, pianiste de bar, il devait jouer des nuits entières aux ordres de patrons plus ou moins honnêtes, de plus souvent devant des allemands. C’est d’ailleurs durant cette période qu’il se lie d’amitié avec un autre pianiste : Eddie Barclay. De sa jeunesse faite de petits boulots et de conditions de travail difficiles, Louis garde une franche aversion pour les petits patrons, ou plutôt les petits chefs, qui lui serviront d’inspiration pour jouer les patrons tyranniques.
A cette époque Louis de Funès n’envisage pas une sérieuse carrière d’acteur. Ce sont les hasards des rencontres qui le font entrer dans le métier pour de bon : Daniel Gélin, Pierre Mondy, la troupe des Branquignols (de Robert Dhéry et Colette Brosset, futurs partenaires au cinéma dans Ah ! Les belles bacchantes ! en 1954 et surtout Le Petit Baigneur en 1967)…
Plus tard, sa carrière d’acteur lancée, aussi bien au théâtre qu’au cinéma, de Funès de par son talent bénéficie d’une bonne réputation dans le milieu, même s’il ne joue que très rarement des premiers rôles. Dans La Traversée de Paris (Claude Autant-Lara, 1956) par exemple, où il est face à Jean Gabin et son futur partenaire Bourvil, ce sont ces deux derniers les têtes d’affiches.
Tout change à la fin des années 1950, avec Oscar. Initialement prévue pour Pierre Mondy et Jean-Paul Belmondo, la pièce de Claude Magnier est reprise en 1959 avec de Funès. C’est un succès fulgurant, à tel point qu’il la joue à 600 reprises jusqu’en 1972, avec au passage une adaptation au cinéma par Edouard Molinaro en 1967. Au cinéma, Pouic-Pouic (adapté d’une pièce de théâtre où il jouait le maître d’hôtel, rôle repris par Christian Marin dans le film) marque sa première rencontre avec le réalisateur Jean Girault, avec qui il tourneront ensemble 12 films. Peu de temps après Girault tourne Le Gendarme de Saint-Tropez, avec le succès que l’on sait. Ce duo acteur et réalisateur marque profondément la comédie française, et dure jusqu’à la mort de Girault sur le tournage du Gendarme et des Gendarmettes en 1982, dernier film également de de Funès puisqu’il disparaît peu de temps après.
Et comment oublier l’autre duo ? A partir des années 60, Claude Gensac et de Funès sont le couple le plus populaire du cinéma, où ils sont mari et femme dans sept films et tournent ensemble dans plus d’une dizaine.
Parallèlement aux films de Girault, le trio de Funès – Bourvil – Gérard Oury connaît un succès phénoménal, avec Le Corniaud d’abord en 1965, suivi un an plus tard par La Grande Vadrouille, dont le nombre d’entrées, plus de 17 millions, ne sera battu que trente ans plus tard… par Titanic.
Malgré La Folie des Grandeurs (1971) et Rabbi Jacob (1973) de Gérard Oury, les années 1970 marquent un ralentissement. Victime d’un premier infarctus en 1975, de Funès doit abandonner le projet du Crocodile, une caricature de dictateur militaire que Oury devait réaliser. Nous ne verrons jamais comment de Funès aurait tourné en ridicule les despotes du moment, Franco ou Pinochet…
Les films de la fin de la décennie (L’Aile ou la cuisse, La Zizanie, réalisés par Claude Zidi) montrent le déclin physique de de Funès. Malgré tout il parvient à mener à bien un vieux rêve : l’adaptation de L’Avare de Molière, qui sort en 1980 et pour laquelle il est pour la première et unique fois officiellement co-réalisateur au même titre que Girault. Suivra La Soupe aux choux, film qui bien que populaire est encore aujourd’hui mésestimé.
Peu avant sa mort, de Funès assiste à une représentation théâtrale de Papy fait de la résistance, et rencontre la troupe du Splendid. Il montre un réel intérêt pour la jeune génération et est enthousiaste à l’idée de participer à l’adaptation au cinéma. Elle se fera malheureusement sans lui : Louis de Funès décède le 27 janvier 1983. Le film lui est dédié.
L’exposition de la Cinémathèque est organisée par thèmes. D’abord, une introduction avec des photos de jeunesse et ses influences citées plus haut. Petit détail : un mur gradué nous apprend que de Funès mesurait… 1m63.
La partie suivante, « 45 rue Poliveau », nous fait découvrir les coulisses de la Traversée de Paris avec entre autre des dessins préparatoires. Mais c’est « Star des Trentes Glorieuses » qui contient le plus d’informations, puisque la vie de Louis de Funès est mise en parallèle avec la grande Histoire. Quelques accessoires notables : une demi-DS grandeur nature, en référence à Fantômas se déchaîne (André Hunebelle, 1965), un poste de télévision Portavia 111 (les spécialistes savent de quoi il s’agit…), un minitel… et surtout une copie du costume de la Denrée !
La collaboration avec Gérard Oury tient une place à part. La 2 CV explosive de Bourvil dans Le Corniaud est présente et aussi une reproduction du costume de Rabbi Jacob. A ne pas manquer, les esquisses de costumes pour Le Crocodile nous font imaginer ce que ce film aurait pu être.
La suite est thématique. « Un pensionnaire difficile » est axée sur les méthodes de travail, fondées sur une hyper exigence due au fait, à ne pas sous-estimer, que de Funès était auteur de ses films au même titre que le réalisateur. Est aussi montrée son attirance pour la bonne cuisine (Elle se voit surtout dans L’Aile ou la Cuisse), son goût du déguisement, son couple au cinéma…
Enfin, difficile de partir sans passer par les Gendarmes, qui occupent la dernière partie. La fameuse cantine du Gendarme à New York est là. Et une reproduction de Cruchot taille réelle (?) nous a à l’œil !
Une remarque néanmoins pour finir. Grâce soit rendue à la Cinémathèque Française de ce choix pour sa première exposition consacrée à un acteur. Mais indépendamment de cela, il faut en finir avec cette désagréable habitude française de coller des étiquettes. Avant d’être l’ « acteur comique préféré des français », Louis de Funès était surtout un excellent acteur, capable de véhiculer toutes sortes d’émotions par son jeu. Et les exemples de manquent pas. Il suffit de voir dans Rabbi Jacob la scène de la synagogue où, déguisé en rabbin, il bénit le petit David. Toute la charge émotionnelle de son jeu passe par son regard, en quelques secondes. Et que dire de La Soupe aux choux ? Le grand public y voit une comédie gentillette, alors qu’il s’agit, au-delà de la truculence des personnages, de l’histoire d’un vieil homme, inconsolable veuf qui, confronté à la résurrection de sa femme dans son corps de jeunesse, se rend compte qu’ils sont en complet décalage et n’ont désormais plus rien à partager. Les adieux finaux sont d’une profonde tristesse.
Sans doute Louis de Funès, ayant connu le succès à cinquante ans passés, n’a-t-il pas par conséquent osé de prise de risque dans ses rôles. Pour autant, faire rire est ce qu’il y a de plus difficile. En cela il doit être considéré comme un acteur majeur de l’histoire du cinéma français, au même niveau qu’un Gabin, un Fernandel, ou un Depardieu pour citer un exemple contemporain.
L’exposition, parrainée par le Musée Louis de Funès de Saint-Raphaël dans le Var, l’INA, TF1…, est visible jusqu’au 31 mai 2021, entrée sur réservation en raison des mesures sanitaires (billets sur cinematheque.fr et fnac.com). Elle est accompagnée d’une rétrospective de ses films. Le catalogue, Louis de Funès à la folie, est coédité par les Éditions de La Martinière et la Cinémathèque française au prix de 34,9 €.
Walter Saraiva