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Du lourd et du piquant promet l’exergue accompagnant le rhinocéros rose mascotte de ces 41e Rencontres d’Arles. Effectivement, 60 expositions, c’est beaucoup. « Multiplier les points de vues » dixit François Hebel, le directeur des Rencontres. Quatre jours sont nécessaires pour les parcourir, avec des moments de bonheur mais aussi de perplexité.
Émotion probable aux photos politiques : manifestants protestant contre les élections iraniennes ou portraits des femmes de la Place de Mai en Argentine. Une dose de Perpignan, en quelque sorte. Dans le même registre, politique, Zhang Dali montre les retouches photos pour propagande. Il est dramatique de voir supprimer les collaborateurs entourant Mao pour le laisser seul : folle exacerbation du culte de la personnalité.
Révision des classiques avec la collection de Marin Karmitz, notamment, Mickael Ackermann, Johan van der Keuken et Christer Strömholm. Dans la veine historique : Polaroid en péril présente des œuvres obtenues par ce procédé, instantané avant l’heure, procédé très prisé des artistes pour l’unicité de son tirage.
Le Musée Réattu, hanté par la fabuleuse présentation Christian Lacroix, montre une rétrospective de Pierre Jahan : reportages pendant la Libération, nus pour illustrer Plain-chant de Jean Cocteau, compositions publicitaires ingénieuses. 65 ans d’imagination facétieuse permettant de répondre avec brio aux commandes de publicité.
Bel exemple de la transgression des règles : les tirages noir-et-blanc contrastés presque au trait de Mario Giacomelli, l’homme de Senigallia, sont revus avec bonheur, revigorant l’inoubliable exposition à la BNF de 2005. C’est une rétrospective très complète : les personnages de Scanno, les vieillards à l’hospice, les séminaristes, les paysages abstraits. À l’étage, didactisme ? Peter Klasen, le peintre hyper-réaliste, montre ses photos : la poésie du boggie, du transformateur ou de la citerne frigorifique n’est pas immédiate. Ce n’est pas le beau classique, mais n’y aurait-il pas là, juste et bel hommage au travail ouvrier ?
Éclipsé par Stephen Shore et William Eggleston, le coloriste Ernst Haas reste dans l’ombre avec cette série souvent inhabitée, monochrome et désaturée.
La grande halle des Ateliers présente I am a cliché, l’univers déglingue de la Factory de Warhol aux Sex Pistols avec force niveau sonore de titres punks. Loi du genre, on se trouve dans la provocation à la limite de l’overdose, mais coup de cœur pour les portraits de Patti Smith par Robert Mapplethorpe. Tout au bout des Ateliers, les tirages argentiques des paysages sibériens de Klavdij Sluban sont plombés, vides et gris comme une journée sans pain.
Arles c’est aussi une dose de provocation plasticienne, avec l’argentin Léon Ferrari : crucifix sortant d’un grille-pain, fesses remplaçant le vitrail d’une église. C’est anticlérical, enfantin et élémentaire : religieux s’abstenir. Plus sérieux est le travail kitsch de Marcos Lopez, parodie à la Pierre-et-Gilles. La bonne renommée endormie de Manuel Alvarez Bravo est jouée par un sportif musculeux et velu entouré de cannettes de bière, exemplaire de ses mises en scène baroques et blagueuses.
Pour ordonner ce catalogue un peu fou, regroupons ce qui revient au portrait. Ceux de Raymond Voinquel, le photographe de plateau, sont éclairés à la Harcourt. Curiosité : Mylène Demongeot y perd un œil dans un aplat noir, mais l’éclectique Katharine Hepburn et l’accrochage, belle brochette, de quatre grandes gueules - Michel Simon, Hitchock, Raimu, Orson Welles - restent en mémoire. À propos de belle gueule : Mick Jagger, 70 portraits par presque autant de photographes. C’est un peu facile, compilant les fonds blancs de Peter Lindbergh et la sophistication de Karl Lagerfeld.
Toujours dans le genre portrait, Lea Golda Holterman propose Othodox Eros adolescents juifs ultra-orthodoxes : tentative avouée pour faire évoluer les mentalités. Proposé au Prix Découverte,
Hans-Peter Feldmann présente 100 ans une série de 101 portraits, une personne différente pour chaque année de vie. C’est linéaire, simplissime, simpliste. Plus raisonnable, Ivan Mikhailov montre de grands formats couleur d’un personnage enveloppé d’une couverture à une fenêtre ou un balcon de son domicile à Moscou, la nuit tombée. Une légende de cinq lignes bien pesées reprend les pensées du personnage à propos de son intégration dans la vie moscovite : sorte d’interview en image fixe. C’est la problématique des légendes qui se trouve ainsi posée. Elles manquent pour Arles, tendances 2010, les portraits d’une centaine d’arlésiens une majorité d’enfants, sont photographiés souvent en pieds. Pose les yeux dans l’objectif, et « le vêtement qui va bien pour être beau » avec un accrochage sur de la barre à béton verticalisée par prise dans un parpaing. La légende est de
plusieurs lignes avec la série d’Olivier Jobard sur la société française des années 2000, ses échecs et ses espérances. Cette légende est renforcée par la présentation en bloc de 4 photos : c’est sans doute une bonne formule quand il s’agit de concilier témoignage, image fixe et intérêt du regardeur. Cette série sera exposée fin 2010 à la BNF dans France 14, avec la mission de 5 ans réalisée par Raymond Depardon, à ne pas manquer.
Depuis plusieurs années, une dérive affecte Les Rencontres : l’augmentation du nombre des expositions, notamment plasticienne, qui ont peu ou rien à voir avec la photographie. Faut-il y voir la marque du mécénat de la Fondation Luma ? Lieu emblématique de l’acquisition d’une culture photographique, Arles devient un lieu où il faut de bons repères pour s’y retrouver.
Souhaitons l’inversion de cette tendance délétère.
Michel Pontet
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