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Comme chaque année en septembre à Perpignan, c’est la fête du photojournalisme. Et c’est un bonheur de pouvoir y participer pour qui aime la photo que l’on appelle humaniste. C’est le seul endroit où l’on peut voir autant de reportages de qualité. Une trentaine d’expositions représentant des centaines de photos accrochées aux murs des lieux du centre ville. Plus une soixantaine d’expositions dans la manifestation OFF dispersées essentiellement dans les magasins.
Plus les soirées de projection au Campo Santo où 2500 personnes peuvent, 6 soirs de suite, assister à 1H30 d’un spectacle de grande qualité, avec les images de l’actualité du jour, la rétrospective des évènements de l’année écoulée et des reportages inédits.
Toutes ces manifestations, ainsi que les colloques et conférences de presse des photoreporter sont gratuites et ouvertes au public.
Pour les professionnels, c’est le seul endroit où responsables de journaux, agences de presse et photoreporters du monde entier peuvent se rencontrer.
Quelques expositions phares de cette 19° édition :
Jane Evelyn Atwood : Haiti
Elle a fait beaucoup de reportages en noir et blanc, comme sa série sur les femmes en prison, mais celui-ci est en couleur car le sujet l’impose.
Extrait de sa conférence de presse :
« Atwood a trouvé du beau là où il n’y avait que du laid. Pour l’agence Vu, elle s’en est allée, à quatre reprises, sur 3 ans, en Haïti, capturer ces images, riches de couleurs et de sens ; loin de Port - aux-Princes, de ses bidonvilles et de ses gangs ; images d’un pays de misère, qui disent le quotidien de l’ancienne colonie, sa pauvreté extrême, sa violence aussi. Images fortes et belles, mais qui préfèrent à l’attaque frontale une manière de dénonciation indirecte. Plutôt, elle dénonce par antithèse, joue des contrastes et du contrepoint, s’amuse enfin de cette triste ironie. Car Atwood révèle la grâce dans la misère et complique la laideur d’une tentative de
beauté, s’efforçant ainsi de redonner à ceux qui n’ont rien une apparence de dignité. Des clichés esthétisants, trop diront certains, qui jouent de l’ombre et de la lumière, de l’effet chromatique aussi, colorant la misère d’un semblant d’humanité. »
C’est un reportage très personnel. Les photos auraient pu être prises ailleurs.
Ce sont des photographies de la vie quotidienne avec un cadrage très exigeant. Beaucoup de travail entre le corps, le minéral, le végétal.
Le pays est détruit, plus d’arbre, pas de racine d’où le ravinage, d’où l’absence de poisson près des côtes ce qui est dramatique pour une population vivant traditionnellement de la pêche.
Elle ne fait jamais de mise en scène, attendant le temps nécessaire, que « l’instant décisif » se présente.
Ce travail a été publié partiellement par Paris Match.
Sergey MAXIMISHIN : Le dernier Empire 20 ans après
Extraits de sa conférence de presse :
« Ses photos sont un commentaire de ce qui n’est pas racontable. Il refuse d’ailleurs de les commenter, laissant chacun libre de les ressentir.
Sept années passées à photographier la Russie, et toujours ce même sentiment
d’incompréhension qui demeure ; sept années à tenter de montrer ces Russes qui font la Russie et cette Russie qui fait si peur ; sept années, et des centaines de clichés, reportage non exhaustif sur ce « dernier empire », dont on parle tant mais que l’on connaît si peu. Il y a dans
la démarche de Maximishin quelque chose qui tient du travail d’inventaire en même temps que du devoir citoyen : c’est que, comme il le dit lui-même, il a « compris de l’Irak plus de choses en quarante jours que de la Russie en quarante ans ». Car la Russie ne se livre pas, même à ceux qui la font ; alors, il faut ruser, biaiser, croiser les données pour espérer esquisser un semblant de réponse, et « comprendre » enfin. Il faut recouper et mettre en parallèle, les nouveaux Russes à fourrure et les gamins du Nord, les Moscovites heureux et les Russes laborieux ; faire se rencontrer les nostalgiques de Staline et les supporters de Poutine, les néo-fascistes et les autres extrémistes. Des bains de Sandony à la Sibérie, des champs d’exploitation gaziers aux bassins miniers, il n’y aurait donc qu’un pas, qu’un lien : celui d’une histoire personnelle qui prend les dimensions d’une épopée nationale. Tel est « le dernier empire, vingt ans après ».
Cela donne une exposition magnifique avec des photos très fortes.
Benoît Schaeffer : Mogadiscio, les derniers jours de l’Union des Tribunaux Islamiques, décembre 2006.
Reportage exceptionnel.
C’est le seul reportage photo de ces évènements. Il fut auto financé et n’a pas trouvé de publication car jugé politiquement incorrect. Il montre les Talibans locaux travaillant, armant des femmes. En prenant le pouvoir ils ont arrêté une guerre civile de 15 ans et rendu la vie possible.
Ce qu’il nous raconte, c’est l’espoir déçu de quelque 3 millions d’habitants dont près de 80 000 réfugiés et déplacés de Mogadiscio.
Eric Hadj, A 20 Km de la tour Eiffel
Photographies du quartier de La Forestière, Résidence de Clichy sous Bois.
En novembre 2005, la résidence s’enflammait après la mort de deux jeunes qui tentaient de fuir la police. Eric Hadj est revenu sur place un an après. Il a passé trois mois pour témoigner du quotidien des jeunes, de leurs vies pleines de vide, d’ennui, montrer leur désespoir, leur quotidien. Même si certains travaux ont été faits, aux yeux des jeunes rien n’a changé, il n’y a toujours rien à faire, c’est tous les jours dimanche.
Malgré la confiance établie entre les jeunes de la résidence et le photographe, il y a peu de photos prises dans les appartements. Ils ne veulent pas poser chez eux. Ils préservent leur intimité.
Les deux jeunes morts en novembre 2005 sont devenus des icônes dans la cité.
Reportage publié par Paris Match.
Samuel Bollendorff A marche forcée…
Voilà un sujet important. A l’époque où notre société de consommation inonde nos échoppes de produits bon marché Made in RDC, il nous montre la face cachée du miracle économique Chinois.
Les trois quarts des paysans chinois vivent en dessous du seuil de pauvreté. Sans argent, leur seule solution est de migrer vers l’intérieur de leur pays et de devenir des « mingongs », des ouvriers migrants sans permis de travail. Exploitée, déplacée, sans protection sociale, sans éduction, cette main d’œuvre bon marché est à la merci des pouvoirs corrompus. Aujourd’hui cette population est estimée à 150 millions de personnes. Travaillant dans les mines, sur les grands travaux, les usines pour le monde entier, elle recommence chaque jour, au péril de sa vie, le « miracle économique chinois ».
Le résultat du reportage n’est malheureusement pas à la hauteur du sujet : une trentaine d’images seulement sont présentées. Des images sans grande personnalité, où les ombres sont souvent bouchées et les couleurs bizarres… Le travail sur photoshop aurait pu améliorer les choses…
Jean Chung, photographe Sud Coréenne fait des réponses un peu langue de bois lors de sa conférence de presse.
Son sujet est sur les problèmes liés à l’accouchement en Afghanistan
Ce pays en guerre a le deuxième taux dans le monde de mortalité en couche à cause de la tuberculose et des hémorragies. Il n’y a pas de structures sanitaires, pas d’infrastructures, pas la possibilité de voir des médecins ou des sages femme.
Les femmes ne peuvent voir personne en dehors de leur famille, surtout dans les zones rurales
La société reste fataliste. Lorsque une femme meurt en couche, le mari est heureux car c’est ALLAH qui l’a voulu.
Ce reportage a reçu le prix CARE du reportage humanitaire 2007.
Lizzie Sadin Mineurs en peine
Son exposition « Mineurs en peine » est le résultat d’un parcours de huit années sur tous les continents, dans une dizaine de pays.
Plus d’un million d’enfants dans le monde vivent en détention sans pouvoir bénéficier de l’aide d’un avocat.
Son reportage montre que dans bon nombre de pays, la détention des enfants se fait dans des conditions arbitraires, humiliantes, répressives et inhumaines, au mépris de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.
Elle a obtenu le VISA d’Or catégorie Magazine pour ce travail.
Dennis Stock Images éloquentes
Ce photographe américain est surtout connu pour ses reportages sur James Dean, dont il fut l’ami. A 79 ans, il est resté entier avec un état d’esprit toujours proche des idées alternatives des années soixante. Il vit d’ailleurs toujours à Woodstock, dans la banlieue de New York.
VISA pour l’Image a eu la bonne idée de montrer une rétrospective de ses images de l’Amérique des années soixante.
Chaque photo exposée est l’aboutissement d’un cadrage et d’une composition parfaite. Pour lui, cet instant décisif qu’il saisit si bien est l’aboutissement d’un travail d’approfondissement du sujet. Sa philosophie est de ne jamais lâcher un sujet tant qu’il n’en a pas complètement fait le tour, tant qu’il n’en a pas trouvé la signification réelle.
« Mes meilleures photos ont été, pour la plupart, prises alors que j’étais absolument seul. Vous devez vraiment retrouver vos réflexes d’enfant face à ce que vous voyez : comme c’est intéressant, comme c’est merveilleux, comme c’est extraordinaire ! La vie sur terre est un enfer. Elle est porteuse de trop de souffrances, sans répit. Le seul soulagement à cette débâcle de souffrances réside dans la recherche de l’harmonie au travers de la majesté et de la magie qui donne un sens à la vie. Je suis d’abord un être humain et ensuite un photographe. Mais, être un photographe m’aide à trouver mon chemin dans l’expérience humaine. »
Festival OFF
Le festival OFF prend tous les ans de plus en plus d’importance. Il bénéficie de la rivalité locale entre le maire UMP qui soutient le festival IN et le président de conseil général, PS qui du coup finance le OFF. De ce fait il y a beaucoup de matériel publicitaire dans la ville et les vernissages ont des buffets bien garnis. Les expositions sont inégales. Certains sujets très faibles et d’autres mériteraient un meilleur accrochage. Il faut vraiment être motivé pour voir aux Galeries Lafayette les quelques photos dispersées au milieu de la lingerie féminine.
Deux expositions à signaler :
Maurice Cupel : Tirana 2006 : les mondes parallèles. Un reportage intéressant sur le changement de physionomie de la capitale de l’Albanie.
Jérôme Bonnot et Hélène Hebrad : prisons de Madagascar. Un travail de 3 mois qui montre les conditions pénitentiaires désastreuses de cette île.
Visa pour l’Image est l’endroit qui nous donne à voir les images dont nous avons le désir et le besoin et qui marquent notre mémoire.
Claude Chansard
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