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  Un mois de grève, un mois de rêve
 
 
 
Un mois de grève, un mois de rêve
 
 
 

            

Un mois de grève, un mois de rêve
   

Sarcelles était encore un gros bourg, les premiers HLM commençaient juste à sortir de terre, la vie y était calme comme dans tout le pays qui, aux dires de certains éditorialistes s'ennuyait.
Pourtant les étudiants de Nanterre ne s'ennuyaient pas eux, ils avaient crée le mouvement du 22 mars et réclamaient des choses aussi extraordinaires que le fait de laisser rentrer les filles dans la cité universitaire. Au fil des jours et de l'intervention des forces de police les revendications se sont approfondies et radicalisées au point de contester la hiérarchie de l'université et bien d'autres choses encore.
En même temps dans les grandes usines de l'époque telles que Renault, Berliet et d'autres lieux de « chagrin »les jeunes ouvriers voulaient en découdre et n'acceptaient plus les grèves de 24 heures auxquels les appelaient les syndicats. De toutes les entreprises remontaient les questions de bas salaires, de cadences trop rapides, de travail abrutissant ainsi que les difficultés pour se loger, enfin un ras le bol généralisé. .
La manifestation du 13 mai à l'appel de toutes les organisations de gauche, ouvrières et étudiantes, donne le signal d'un mouvement de grève qui va s'étendre à tout le pays, tel une trainée de poudre.
Cette manifestation gigantesque a comme slogan « 10 ans ça suffit » et la protestation devant la répression policière.
En l'espace de 3 jours le pays tout entier est paralysé, les PTT (Poste et télécomm), la SNCF, les aéroports, le métro, chaque jour un secteur de plus s'ajoute à la liste des services bloqués par la grève, jusqu'à la télé, l'ORTF de l'époque où il ne reste plus qu'un seul journaliste pour lire un papier à 20 heures. L'information est assurée par les radios qui racontent en direct ce qui se passe au Quartier Latin et qui font parler les leaders étudiants et les syndicalistes.
De Gaulle dira c'est la chienlit et les étudiants répondront « la chienlit c'est lui ». La grève s'installe dans la durée, les locaux sont occupés et dans les rues sans voiture par manque d'essence, se tient un débat permanent. Tout le monde parle, se parle, c'est le forum, des groupes de 3, 5 10 se forment ici, se reforment là et commentent ce qui se passe. Des gens, vieux, jeunes, immigrés, français, hommes, femmes, racontent leur vie, disent leurs aspirations, leurs idées sur ce que pourrait être la société. Quelque grande bourgeoise, très XVIième arrondissement s'étrangle d'indignation à la vue de tous ces gens « qui ne veulent plus travailler et qui feraient bien d'aller en Russie ».
Des lieux prestigieux ouvrent leurs portes à cette avalanche de paroles : la Sorbonne, l'Odéon et d'autres endroits encore sont ouverts au débat, on s'engueule, on rigole, certains font des discours interminables et incompréhensibles En même temps de nouveaux titres de journaux fleurissent : Le pavé, Action, l'enragé, des affiches sérigraphiées ornent les murs : Le pouvoir est dans la rue Etudiants travailleurs même combat, laissons la peur du rouge aux bête à cornes, Ouvrez les yeux, fermez la télé.
Chaque soir, jusqu'à tard dans la nuit, chacun, chacune suit les événements l'oreille collée au poste de radio, dans la journée on apprend que tel patron est séquestré. De gaulle est parti et pendant ce temps partout, on parle de tout, du cinéma, de la médecine, de la politique, de l'école.
Un soir de ce joli mois de mai, le 30 exactement le parti de la peur déferle sur les Champs Elysées avec à sa tête, et c'est bien triste, André Malraux. Ils ont peur pour leur bien-être qu'ils croyaient sûr, ils ont peur pour leur pognon, ils ont peur de leur jeunesse, ils ont peur de ce monde du travail qui exige son du. Ils veulent en finir avec ce qu'ils appellent l'« anarchie ».
Après la négociation de Grenelle, ces grenelles qui, aujourd'hui, poussent comme des champignons sous les pas de Mr Sarkosy, donc, après ce vrai Grenelle on reprend le boulot, aux chèques postaux et ailleurs la mort dans l'âme même si l'on a obtenu des choses qu'on n'aurait pas cru possible 3 semaines avant.
La reprise c'est terrible, c'est la fin de ce moment où l'on a vécu la vrai vie, où on a appris plein de choses, où l'on a parlé avec plein de gens, où l'on a cotoyé l'utopie. Il faut revenir dans le cadre, retrouver la hiérachie qui hier encore tremblait devant notre force collective, se confronter avec les non grévistes qui vont profiter des acquis de notre lutte; il faut reprendre le collier, les cadences, enfin , tout ce qu'on avait cru pouvoir changer.
Il n'y eut pas la révolution, mais après, il y eut quand même de sacré bouleversements dans nos têtes et dans la société : le féminisme, l'écologie, les idées d'autogestion comme à LIP, les homosexuels qui sortaient du placard, les immigrés qui osaient dirent qu'ils étaient là et bien là, le cinéma qui changeait et plein d'autres choses encore
Même ceux qui le critiquent le plus, ont une dette envers ce mois de mai là, et cette dette c'est un peu plus de liberté individuelle et collective.

Moment de nostalgie d'une qui vécut ça aux centre de chèques postaux de Paris et qui de temps en temps s'en allait du côté de Sarcelles.

Gisèle Moulié

 

 

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