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Cet automne a été particulièrement intense pour la photographie de reportage et, bien sûr, cette mobilisation contre la réforme des retraites a été du pain bénit pour tous les photographes ! Que les choses soient claires : lorsque je photographie j’ai toujours coutume de dire que je mets mes idées dans la poche car, si je ne me mettais qu’à photographier ce avec quoi je suis d’accord, mon champ d’action serait limité.Militant syndical depuis près de 30 ans et pratiquant la photographie depuis plus longtemps encore je ne pouvais qu’être en phase et éprouver de l’empathie pour ce mouvement social. Je m’abstiens cependant d’arborer tout badge ou tout autocollant car, lorsque je photographie une manifestation, je bouge sans arrêt, la traverse de long en large, monte sur le trottoir, me mélange dans la foule pour être au plus prêt du sujet photographié. Photographier des banderoles ne m’intéresse pas spécialement même si je suis d’accord avec ce qui proclamé. Je préfère coller au sujet et je cherche avant tout des « gueules », des moments cocasses et, je l’avoue, de jolies demoiselles qui égayeront mes images même si ce n’est pas cela le plus important !
L’exigence technique d’abord
Le piège de l’appareil numérique est de permettre de faire beaucoup de photos dans ce genre d’évènement. On en vient à mitrailler sans arrêt, à prendre entre 200 et 300 photos et le travail le plus dur le soir est d’élaguer, de jeter pour garder uniquement une bonne vingtaine ou trentaine — c’est déjà beaucoup — d’images correctes. Il faut être de ce fait très rigoureux, ne pas hésiter de demander l’avis de pairs — pros, autres photographes, qu’ils soient amateurs ou professionnels ou, si on est adhérent d’un club photo, montrer ses photos — après une sélection drastique — à d’autres photographes qui sauront pointer nos erreurs et défauts. Si on montre cela à sa famille, aux amis… ou à son syndicat, ils trouveront toujours que c’est formidable, mais ne verront pas les erreurs de cadrage, les problèmes techniques qui feront que votre photo chutera si vous vous avisez de les faire voir à un œil plus exercé, car la photographie c’est avant tout le regard que pose le photographe sur le sujet. Empathie donc avec tous ces manifestants qui battent le pavé depuis… le mois de mars sur la réforme des retraites mais dont le point d’orgue fut cette chaude rentrée automnale. La douceur du climat précisément faisait que l’on était dans une ambiance festive, et les sujets sur lesquels je pointais mon appareil étaient des plus guillerets et contents d’être ainsi mis en image ! Chercher l’insolite, l’inédit, des « gueules « ou des manifestants dynamiques a toujours été mon credo photographique. Si les manifestants étaient d’humeur badine on sentait aussi la colère omniprésente derrière cette réforme injuste conduite par un ministre impliqué dans le feuilleton de l’été que fut l’affaire Woerth Bettencourt.
Mise au point
Les manifs ressemblent de moins en moins à des manifs traîne-savates et l’entrée des jeunes dans la mobilisation a aussi permis de réveiller les cortèges. Il fallait voir le nombre de photographes autour des cortèges de jeunes, sans compter ces derniers qui se photographiaient eux même avec leurs smartphones. Il y avait aussi les rangs du syndicat SUD Rail qui rompaient avec l’image désuète que l’on se fait des manifs syndicales.
Tambours, torches, calicots colorés faisaient le bonheur des photographes et ce n’est sans doute pas un hasard si les photos de ce syndicat se sont retrouvées très souvent dans les pages des quotidiens faisant même la une du Monde ou des hebdos comme Marianne. La très jolie et photogénique Anissa Ali Abdallah coqueluche des médias et figure de proue de ce syndicat a fortement contribué à cette surexposition. Les Jeunes justement, dont les ténors du gouvernement disaient que cette réforme ne les concernait pas, relayés par de doctes économistes qui affirmaient la main sur le cœur que ce n’est pas parce qu’un « vieux » doit travailler deux ans de plus qu’un jeune va trouver du travail. L’art de prendre les gens pour des imbéciles vraiment ! On nous serine qu’avec l’allongement de la durée de la vie il faut travailler plus longtemps ! Mais qui vit plus longtemps en fait ? Ce sont plutôt les cadres qui ont une espérance de sept ans supérieure à celle des ouvriers et des employés ! Dans un article du « Monde « une sociologue décrivait l’usure des corps de ceux qui ont toujours fait des travaux pénibles – elle narrait le quotidien d’une femme de ménage — et c’est à ceux là que l’on demande de trimer plus prétextant qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses ! On espère que cette femme de ménage n’aura pas l’inconscience de refuser de travailler deux ans de plus risquant de mener le pays à la faillite ! Certes il faut réformer les retraites mais prend on l’argent où il devrait être pris et pas uniquement dans la poche des seuls salariés qui contribuent à 85 % au financement de cette réforme. Lorsque l’on se promène dans les beaux quartiers on voit que ce n’est pas la crise pour tout le monde ! Les banques françaises ont distribué 2 milliards d’euros de bonus à leurs traders alors que 1, 5 million de personnes vit avec 548 € par mois. Les bénéfices des entreprises du CAC 40 ont doublé en un an passant de 47 milliards d’euros à 84 milliards pour l’année 2010 !Ce n’est pas un brûlot gauchiste qui l’écrit mais bien le Monde magazine ! La moitié de cette somme résoudrait le problème des retraites mais il parait que cela n’a rien à voir ! On a pointé comme à l’accoutumée les images des casseurs oubliant que le casseur principal se trouvait à l’Élysée, obligeant les gens à travailler deux ans de plus sous prétexte d’une crise financière que lui et ses amis ont provoquée. Injustice faite aux femmes, à ceux qui ont commencé à travailler jeune, à ceux qui font des travaux pénibles, cette réforme a réveillé beaucoup de gens qui certes faisaient la grève par procuration mais qui ont été de tout cœur avec ces manifestants. Vous l’avez compris je photographie depuis toujours l’actualité politique et sociale, car je ne peux pas être indifférent du monde qui m’entoure. La photographie pour moi est aussi un acte militant et si bien sûr je ne prétends nullement changer quoi que ce soit et surtout pas gagner des gens à mes idées, par mes photos j’espère susciter en revanche des questionnements sur mes images.
Martial BEAUVILLE
Fin octobre j’ai fait un voyage outre Manche et il fallait entendre les propos apocalyptiques des Anglo Saxons des images qu’ils voyaient de la rue en France !
Ironie de l’histoire pour ceux qui parlent des lazy french, chez eux aussi les étudiants se sont révoltés face à un triplement de leurs frais d’inscription universitaire.
Des scènes inhabituelles dans un pays où on a porté la retraite à 66 ans et où il n’y avait que 500 manifestants devant le 10 Downing street.
Damned il faut que je reprenne l’Eurostar pour photographier les Britanniques qui investissent enfin la rue après avoir été anesthésiés trois décennies durant par Thatcher et Blair !
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