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James Nachtwey est l’un des plus grands photographes de guerre actuels, probablement le dernier à l’esprit romantique. Son recueil de photo « L’enfer » débute par une citation de la Divine Comédie de Dante : « Là, des soupirs, des plaintes, de grands cris retentissaient dans l’air privé d’étoiles, ce qui me fit pleurer pour commencer ». On comprend d’emblée le monde qu’il photographie ainsi que son implication.
La guerre, le photographe la connaît très bien, l’ayant poursuivie de l’Irlande jusqu’en Irak en passant par l’Amérique du Sud de la Guerre Froide, la Yougoslavie, la Palestine, le Rwanda, l’Afghanistan etc. Et depuis la couverte du conflit en Irlande, en 1981, il est reconnu comme étant l’un des meilleurs dans ce domaine. Sorti de la prestigieuse université de Dartmouth College où il étudiait l’histoire de l’art et les sciences politique, il décide de se lancer dans la photographie en se finançant grâce à divers postes (sur des cargos, chauffeur de poids lourds...). Marqué par le mouvement contre la guerre qui sévit au Viêt Nam, il décide de se lancer dans la photographie professionnelle en autodidacte dès 1976, est un temps photographe local au Mexique puis devient indépendant à New York peu de temps avant d’immortaliser la guerre civile irlandaise. Après avoir été quinze ans dans la célèbre agence Magnum Photos, il la quitte pour co-fonder l’Agence VII (fondée par sept grands reporters, d’où son nom). Il est, à ce jour, le photographe le plus primé de la presse américaine (sept fois « Magazine Photographer of the Year », les « World Pres Photos » et le « Prix Bayeux des Correspondants de Guerre »).
L’Enfer est sur Terre
« J’ai toujours voulu être photographe de guerre, mais avant même de convaincre mes proches, il fallut me convaincre moi-même » dit James Nachtwey dans War Photographer, documentaire suivant le photographe au sein de différents conflits. Entre vouloir cotoyer la mort et s’investir, il y a un fossé. Nombreux sont ceux qui ont perdu la vie à ce jeu-là (Robert Capa, Gilles Caron...). James Nachtwey cite de manière très claire aussi bien valeur que la difficulté de cette vocation : « Chaque minute passée ici, je songe à la fuite. Je ne veux pas voir cela. Que vais-je faire : m’enfuir ou assumer la responsabilité de photographier tout ce qui se passe ici ? ». S’enfuir serait une lâcheté excusable face aux horreurs dont il est témoin : guerre, famines, maladies... On comprend le titre de son recueil, et on est autorisé à se dire que l’Enfer est sur Terre. Cependant, au-delà du pessimisme, James Nachtwey qu’il voit chaque fois un nouvel enfer, tous issus de l’Homme, quelques soient ses croyances et son engagement. Il ne prend le partie que de combattre la guerre en soit, c’est d’ailleurs ainsi qu’il estime son statut de « photographe de guerre » passé à « photographe anti-guerre ». James Nachtwey s’est donné pour mission d’être un simple témoin personnel, ce qui inclut une touche d’espoir. Ceci explique peut-être pourquoi son implication ne prend pas une ride.
Plus attaché à l’humain qu’aux armes à feu, aux ruines qu’à l’action
Nombreux sont les amateurs de photographies à accuser les photos de guerre relevant du pur voyeurisme. À partir du moment où le « voyeurisme » c’est la plaisir de regarder, je peux vous dire que je ne me suis pas senti voyeur le jour où j’ai découvert les photos de la Somalie au moment le plus violent de sa guerre civile. Le voyeurisme, ce sont, par exemple, les images des journaux télévisés puisque, ne respectant pas les règles artistiques, elles ne nous choquent pas. La technique photographique de James Nachtwey est d’une perfection gênante. Je pense à une image au sublime noire et blanc avec un composition équilibrant parfaitement les lignes à la fois objectives et subjectifs : c’est le portrait d’un Somalien que la famine transforme progressivement en cadavre. Si ce genre de photos vous procure du plaisir, je vous conseille de consulter un psychiatre. Ses photos qui me brisent le cœur, me rappellent non seulement la dure réalité de certains points chauds de la planète mais également entretiennent mon envie de faire en sorte, à mon niveau, qu’un jour cela ne se produise plus. Qui, aujourd’hui, nierait l’impact des images rapportées du Viêt Nam (on pense notamment à Kim Phuc brûlant à cause du napalm) et leur lien avec le mouvement anti-guerre (appuyé par les vétérans et l’amélioration de la qualité de vie évidemment) ? N’est-ce pas une drôle de coïncidence si les reporters-photographes, actuellement en Iraq, sont obligatoirement encadrés par l’armée pour des raisons de sécurité ?
Une grande particularité des photographies de James Nachtwey est qu’il intègre dans la majorité des photos des symboles d’espoir. Qu’il est plus attaché à l’humain qu’aux armes à feu, aux ruines qu’à l’action. Tout cela dans un noir & blanc et un style presque « pudique » dans le respect des hommes et des femmes qui vivent chaque jour souffrances et humiliations.
Martin TOURNADRE.
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